Avec Solicaz, au cours du projet GUYAFIX, nous ne plantions que des espèces fixatrices d’azote. Seulement pour ce projet les sols étaient complètement différents : en alluvionnaire, ils sont beaucoup moins argileux, souvent très sableux, voir graveleux et plus proche de la nappe. Le fait est de que nous n’apportions ni fertilisation ni paillage ce qui n’a pas empêché des résultats spectaculaires.

Revégétalisation avec les Ingas du projet GUAFIX

Quand on a souhaité étendre ces plantations, les résultats sont devenus trop irréguliers… Parfois une parcelle entière était vouée à l’échec sans que l’on sache réellement expliquer pourquoi (sols similaires, mêmes espèces, même équipe de plantation…). Alors évidemment on a cherché à améliorer le système…

Fixatrices d’azote : hétérogénéité de croissance sur une même parcelle

 » Quand on prévoit de planter 100 000 arbres, on ne peut pas s’en remettre au hasard, on mets toutes les chances de son coté… « 

Alexandre CAILLEAU

Nous voulions assurer la meilleure reprise possible, et ce quel que soit le type d’arbres et quelles que soient les conditions au moment de la plantation. Pour cette première plantation à grande échelle, nous avons pris exemple sur la méthode employée en Nouvelle-Calédonie, et nous avons donc décidé d’apporter de manière systématique un engrais et des hydrorétenteurs en fond de trou, ainsi que du paillage en surface.

L’engrais de fond

Evidemment il n’était pas question d’apporter de l’azote minéral qui aurait risqué de diminuer fortement la symbiose bactérienne des plantes fixatrice d’azote. Nous avions fait quelques tests les années passées avec des engrais organiques à base de fientes de mouton ou de déchets de poisson, mais aucun d’eux ne nous avait donné entière satisfaction malgré un surcout important.

Renseignements pris auprès de professionnels dans des vergers bio, en Nouvelle Calédonie, etc… et après plusieurs échanges avec notre fournisseur (TIMAC AGRO), nous avons sélectionné (parmi un choix déconcertant) l’engrais organique « HUMISOL ». Nous l’utilisions à raison d’environ 400 g par pied en fond de trou et jusqu’à présent il nous a donné entière satisfaction : le taux de reprise est supérieur à 90 % et il assure une très bonne croissance aux arbres dès la plantation. Autres avantages, il est facile à stocker et à transporter (sacs de 25 kg), facile à doser (granulés), et en plus il a une bonne odeur légèrement chocolatée (rien à voir avec les fientes de poule par exemple) !

Les Hydrorétenteurs

Ajouter des Hydrorétenteurs à la plantation en Guyane, ça peut paraître un peu contre-productif ! C’est vrai qu’on a longuement hésité et que leur nécessité a fait débat dans l’équipe : ça fait une manip en plus (multipliée par 100 000…).

En fin de compte, je crois qu’on a vraiment bien fait d’insister : dès la première année, nous avons pu étendre la période de plantation jusqu’à fin août, quand auparavant on s’arrêtait en juin. Les arbres souffrent moins en saison sèche (absence de jaunissement des feuilles dû au manque d’eau), et surtout, surtout, SURTOUT… nous avons évité la catastrophe lors des saisons sèches « surprises » que nous réservaient les années 2019 et 2020, de janvier à avril. On aurait pu perdre beaucoup d’arbres. Là encore Adrien a remarqué qu’après la plantation, un seul arrosage dans les 3 jours assurait leur survie et leur développement dans les semaines suivantes. Cet apport d’eau, était idéalement une pluie du soir, même petite… mais parfois nous avons dû faire cet arrosage manuellement, en transformant la benne du tracteur en citerne. Devoir arroser en saison « des pluies », ce n’était pas vraiment prévu au programme…

Pour les Hydrorétenteurs, il faut respecter le protocole à la plantation : bien homogénéiser la poudre à la terre dans le fond du trou et autour du plan. Si il est trop concentré au fond, il peut expulser le plan de son trou en se gonflant lors de la première pluie : une fois humidifié son volume est multiplié par 20 !

Démonstration de l’absorption d’eau par nos hydrorétenteurs lors d’une visite des élèves du lycée Melchior et Garré

Engrais de surface

Dans les zones ou les sols sont les plus pauvres (argiles saprolitiques) et quand les arbres montrent des signes évidents de carence en azote, on peut leur en apporter sous deux formes distinctes : les fientes de poules ou la corne de bœufs broyée.

La fiente de poule

Les fientes sont issues des élevages de la région de Cayenne. Nous en avons utilisé environ 50 tonnes pour le projet, acheminé en big bags ou en vrac.

Attention, les fientes sont disponibles sous deux formes : elles peuvent être brutes (mélangées à du sable) ou bien à des copeaux de scierie.

Le second mélange est plus intéressant car il est plus riche et a commencé a composter ce qui le rend moins agressif pour les plantes. Il faut vraiment faire attention aux dosages respectifs de l’un ou de l’autre, le mieux étant de faire des tests sur des petites quantité d’arbres. Cet engrais organique hyper azoté est relativement bon marché, mais il présente certains inconvénients : très fort en fond de trou (peut bruler les arbres), il est très sensible au lessivage en surface (problème que nous évitions en le recouvrant systématiquement de paillage), il faut éviter le contact direct lors de sa manipulation (odeur, port de gants…) et surtout l’apport en big bag ou en vrac rend la mise en place beaucoup plus difficile que les granulés. Nous encourageons la filière avicole à s’organiser pour valoriser ce produit comme cela a été fait récemment à la Réunion.

La corne broyée

Peu connue, la corne de bœuf broyée voire torréfiée (produit secondaire issu des abattoirs) est un excellent engrais très riche en azote et à diffusion lente, il est surtout utilisé en plantation fruitière bio.

Nous avons décidé d’utiliser cet engrais bio car il est facile d’utilisation (copeaux en sacs de 25 kg) et ne nécessite pas de protections particulières lors de la manutention (contrairement à la fiente). Il permet de réactiver la vie du sol car une phase de transformation est nécessaire pour libérer l’azote. Il se diffuse lentement et permet donc un apport à l’arbre sur le long terme (vitesse de diffusion directement corrélée avec la taille des copeaux, nous avons donc choisis les plus grossiers, non torréfiés). Le tout en étant totalement insensible au lessivage; ce qui représente un avantage de taille sous le climat guyanais et lorsque l’on plante en saison des pluies.

Nous encourageons la filière bovine à s’organiser pour valoriser ce produit et le rendre accessible comme c’est le cas en métropole ou au brésil.

Pour information le sang de bœuf aussi peut être séché pour en faire de l’engrais, même chose pour les plumes des volaillesles déchets de poissons

De nombreux produits secondaires de l’industrie guyanaise sont ainsi considérés comme des déchets et jetés à la décharge tous les jours. Quel dommage, ils pourraient être valorisés dans la production de légumes bio…

Un projet d’économie circulaire est en cours de réflexion et fera l’objet d’un prochain article…

Le paillage

Le paillage des plants a été l’une des décisions les plus importantes de ce projet. Nous souhaitions absolument enclencher une dynamique de sols vivants pour nourrir durablement les arbres plantés.

Nous avions acheté un broyeur à végétaux depuis quelques années et nous avons donc commencé à l’utiliser pour confectionner du BRF. Son effet est bénéfique sans aucun doute. Mais Adrien a voulu aller plus loin dans la démarche en copiant encore plus finement ce qu’a inventé la nature.

Pourquoi ne pas pailler nos jeunes plants avec la litière qu’ils auraient eu s’ils étaient nés au sein de la forêt ?

L’idée était très pertinente, mais encore fallait-il que ce soit réalisable et d’une rentabilité comparable au BRF, dont nous maitrisions déjà le protocole. Nous avons donc entrepris des premiers tests sur une semaine pour trouver les bons outils, rechercher les meilleurs spots (proximité immédiate d’une piste, pas trop en pente, pas de fossé, forêt suffisamment aérée…), puis former les hommes…et enfin estimer la quantité qu’on était capable de récupérer.

Collecte de paillage dans un « spot » ideal : plat, dégagé et accessible en bord de piste

En une semaine Adrien et son équipe avait fait autant de paillage forestier que si ils avaient utilisé le broyeur. En plus c’était moins dangereux et surtout ce paillage était beaucoup, beaucoup, beaucoup plus riche : il conserve l’humidité et renferme non seulement du bois, des branches, des feuillages, mais aussi des graines, un peu d’humus, des bactéries, des champignons, des fourmis, et plein de choses qu’on ne connait pas encore et qui permettent au sol de se développer.

« Mais ça n’abîme pas la foret ? »

Avec le recul, le sol forestier à qui on a prélevé une partie de sa nourriture se fait recouvrir par les feuilles des arbres alentours en quelques mois. À l’échelle de la vie de la forêt ce prélèvement ponctuel doit correspondre à un jeûne d’à peine quelques heures ! Au pied des jeunes plants, par contre, c’est la fête ! à tel point que parfois les racines se développent directement au sein du paillage.

Avec le recul, on considère qu’une quinzaine de litres de paillage permet de nourrir un arbre pendant au moins 18 mois. Mais ça reste assez variable et ça demanderait tellement plus d’observations et d’études.

 » Messieurs les chercheurs, notre porte est grande ouverte… »

Alexandre CAILLEAU