Planter un arbre, quoi de plus facile ? Et pourtant… Quand on s’intéresse à la plantation d’une forêt, quand on se donne pour objectif de planter 100 000 arbres, de nombreuses questions se posent :
« Avec ou sans engrais ? Une étude préalable de la qualité des sols ? De l’amendement ? Lequel, lesquels ? Du paillage ? Quel espacement ? Des hydrorétenteurs en Guyane ? … ? «
Planteur de Forêt
En Guyane
Après quelques heures de bibliographie on se rend bien compte qu’il y a mille et une manières de planter un arbre, et mille et une manières de s’y prendre pour planter une forêt…
Prenons d’abord la maille d’implantation : de manière assez classique on plante selon une maille carrée de 3 m x 3 m voire 5 m x 5 m environ. Mais de nouvelles techniques sont en train d’émerger à travers le monde comme les hyper denses Tiny Forest, le pas japonais et les corridors écologiques, ou encore le semi de milliers voire de millions d’arbres grâce aux seeds bombs, voire le semi appelé « Muvuca de sementes » comme il est pratiqué au Brésil .
« Les gars, on n’est pas 50 et on a que deux ans… alors on ne va pas pouvoir tester toutes nos supers idées ! Il va donc falloir sélectionner intelligemment les plus adaptées à notre contexte. »
Alexandre Cailleau …
Nous avons choisi d’essayer plusieurs techniques sans trop prendre de risques non plus car il y a déjà énormément de facteurs qui jouent sur la qualité de la reprise des arbres… Nous avons donc pris le parti d’une plantation à maille régulière (pas vraiment du biomimétisme il faut l’avouer…), car elle a fait ses preuves mais aussi et surtout elle est très facile à mettre en œuvre sur le terrain et sur de grandes surfaces.
Nous aurions aimé aller plus loin et tester des corridors écologiques sur le modèle des tiny forests, mais quand nous avons étudié leur dimensionnement, nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient extrêmement gourmands en plants (rapportés à l’hectare). D’autre part une plantation à très forte densité doit être extrêmement bien pensée en amont afin d’éviter de perdre toute la plantation à cause d’un manque d’eau ou de compétition trop importante entre les plants, ou encore par des ressources nutritives sous dimensionnées. Mais ce n’est que partie remise et nous essaierons de consacrer un peu d’énergie à ces thématiques dans les mois et les années qui viennent.
En revanche, au fil de nos recherches, nous avons considéré que certaines espèces se prêteraient plutôt bien à la technique des seed bombs (cf vidéo).
Nous avons aussi trouvé très pertinente la technique des plantations de service utilisées en Agro foresterie, et nous avions lu ici que le Tithonia possède des caractéristiques très intéressantes pour nos plantations, notamment une teneur en azote de plus de 5 % dans les feuilles. Quelques bosquets étaient déjà présents sur St Élie et, oh avantage majeur, le Tithonia se bouture très facilement ! Nous avons donc installé plusieurs dizaines de Tithonia sur les différents secteurs afin de pouvoir, dans les années à venir, pailler les arbres avec leurs feuilles riches en azote.
Nous en avons aussi installé sous forme de haies au bord des pistes afin que le matériel végétal puisse être facilement accessible et aisément transportable sur un autre site où les arbres auraient plus de difficultés et nécessiteraient plus de paillage. Ce n’est que plus tard que nous avons appris (ici) ses vertus naturelles termicides ou son action sur la conservation des semences, et toutes les autres utilisations possibles… Et dire qu’elle aussi elle était là, devant nos yeux depuis des années…
Concernant la plantation en elle-même, nous avons choisi, là encore, de donner aux arbres le contexte le plus favorable possible :
Et plein d’autres petites attentions !
L’objectif est juste de s’assurer qu’on leur donne vraiment le maximum de chance d’assurer leur reprise et leur développement jusqu’au stade où ils seront capables de recréer une couverture suffisante du sol.
D’un autre côté, à chaque fois qu’il était possible lors de l’exploitation nous stockions la terre végétale (topsoil) et une partie des latérites (première couche d’argile rouge sous les sols, à ne pas confondre avec la saprolite qu’on rencontre encore en dessous)… Nous (Fabrice Ostorero) avions effectivement remarqué que les herbacées s’installent relativement facilement et durablement sur une couche, même assez fine, de latérites. La même herbacée aura beaucoup plus de difficulté dans les mêmes conditions (climatiques, amendement initial..) à se développer sur des saprolites. Quelle surprise et quelle joie de voir ces observations empiriques démontrées scientifiquement en Nouvelle Calédonie ! On peut lire ici :
« Les études ont montré que les latérites rouges constituent un substrat d’accueil assez favorable à l’installation et au développement d’un couvert végétal par plantation, semi et même par recolonisation spontanée depuis les zones alentours car leurs caractéristiques physico-chimiques sont assez proches de celles des Topsoil. »
Guide du TOPSOIL, CRNT, 2018
Quel chemin parcouru chez eux, félicitations ! Et quel gigantesque chantier nous attend en Guyane sur ces thématiques, nous qui sommes au cœur du poumon vert de la planète …
Même s’il n’était évidemment pas possible de recouvrir la totalité des secteurs déforestés par de la terre végétale (le site ayant été exploité et déforesté depuis 1880), nous avons vraiment insisté pour que ce soit une thématique centrale du projet. Le topsoil c’est l’atout numéro 1 pour le succès de la reforestation. Et suite à différents chantiers-tests réalisés préalablement, plutôt que de l’étaler en couche homogène, nous avons choisi de le remettre en place sous forme d’andains ou de patchs (monticules de terres). Il nous a paru intéressant, dans ce contexte topographique très diversifié (talus, plaines, pentes douces…), de s’inspirer des systèmes précolombiens de cultures sur buttes (les fameux champs surélevées décris dans ce superbe article). Ils avaient inventé un système qui présente l’avantage d’offrir un meilleur drainage, une meilleure aération de la terre, et une meilleure rétention de l’humidité (voir l’article). Si ces buttes ont permis aux civilisations précolombiennes de cultiver les terres inondables des savanes, elles pourraient peut-être nous aider aussi à optimiser l’utilisation du topsoil dans cet environnement difficile.
Dans la pratique, au fil du temps nous avons privilégié la mise en place de buttes circulaires plutôt que d’andains allongés. Comme le remodelage (étape préalable à la mise en place du topsoil) est susceptible d’évoluer dans le temps, la disposition des buttes permet de s’assurer une meilleure répartition de l’eau de pluie qui peut s’écouler plus librement. Lors des épisodes intenses comme il en arrive souvent en saison humide, les retenues d’eau derrière les andains peuvent créer des dégâts importants plus ou moins durablement : brèches, érosion par concentration des eaux, ou au contraire hydromorphie, voire suffusion (percolation de l’eau dans le terrain jusqu’à sa dissolution) quand les andains sont situés en amont de zone de remblais. L’avenir nous montrera nos erreurs…
Voilà pour le précolombo-mimétisme !
Bref, réhabiliter c’est aussi une grande école d’adaptation, une leçon pleine d’enseignements pour les temps qui viennent…