Peut-être que les gens ne se rendent pas tout à fait compte de la difficulté qu’il y a à réhabiliter des sites dégradés en Guyane. On dirait que tout pousse tout seul sous nos climats, la végétation est tellement exubérante. Mais en réalité c’est une toute autre affaire. Il parait qu’il n’y a pas de mauvais sols, qu’il n’y a que de mauvais cultivateurs… soit !
« Ce n’est pas tellement que le sol soit pauvre qui pose problème, mais plutôt que l’on manque de connaissances, de techniques spécifiques…»
Quelles sont les espèces à utiliser ? Quelle stratégie de plantation adopter ? Comment « apprivoiser » les plantes qui nous entourent ? Où se procurer leurs graines, comment les stocker les faire germer ? Comment les élever en pépinière et jusqu’à quel stade faut-il y protéger la plantule ?
Et toutes ces questions s’adressent en général à des espèces qui pour la plupart ne sont pas utilisées par ailleurs : ni en agriculture, ni comme plante ornementales, ni en foresterie… des espèces pourtant hyper communes mais sans autre intérêt que leur rôle cicatrisant pour la forêt. Comment réveiller l’intérêt pour ces espèces qui, pour l’instant, sont réduites à sécher entre les pages de l’herbier de Guyane ?
Ce défi, un homme en particulier l’a relevé : il s’agit de Denis Loubry qui, dans les années 90 à 2000 a fait un énorme travail de recherche sur les espèces pionnières, sur leur multiplication par semi, par bouturage et même sous forme de macro-boutures (consulter son livret). Et c’est au travers de Denis et de sa société PHYTOTROP que l’aventure de la revégétalisation des mines en Guyane a commencé. On m’avait conseillé de le contacter en 2002 alors que je me questionnais sur les techniques de revégétalisation des mines alluvionnaires. Alors on s’est rencontré, je l’ai écouté longuement et j’ai tout de suite été passionné par les nombreuses possibilités d’expérimentation qui s’offraient à nous. Il n’était jamais intervenu pour un opérateur privé, et n’avait pas encore créé de pépinière sur site isolé :
Il fallait tout inventer !
Ça allait donc être une grande première. Les résultats étaient très intéressants mais dans les années qui suivirent, l’Acacia Mangium, une des espèces les plus efficaces, s’est avéré espèces invasives et nuisibles pour la Guyane. Il a donc fallu rechercher des espèces alternatives et surtout locales. C’est dans ce cadre que la SMSE, sous l’impulsion de Carol Ostorero (DG), s’est associée à l’entreprise Solicaz pour mener un projet de recherche sur trois ans : le projet Guyafix.
Grâce à la jeune équipe très dynamique de Solicaz et grâce aux chercheurs qui nous ont accompagnés sur ce projet, nous avons acquis à la SMSE des connaissances et des compétences spécifiques sur ce sujet. Leurs documents techniques, livrets, brochures… sont des must have !!
Alors quand il a fallu changer d’échelle et se lancer dans la réhabilitation des mines primaires de de Saint Elie, sur plusieurs dizaines d’hectares, nous nous sommes pris de passion pour ce projet et nous avons essayé de le gérer avec la plus grande attention, de faire appel aux meilleures techniques disponibles en Guyane et en Europe et de profiter de l’expérience acquise en Nouvelle-Calédonie depuis les années 2000.
Il s’est trouvé que nous étions quatre fils d’agriculteurs à intervenir sur la réhabilitation et nous avons mis en commun toutes nos compétences pour essayer de repousser encore plus les limites du projet : tendre vers l’élimination des engrais chimiques, vers l’économie circulaire, vers l’intégration des concepts d’agro-écologie.
Mais surtout, nous avons essayé d’utiliser au maximum les ressources « hyper locales », c’est-à-dire provenant du site même, afin d’éviter d’avoir à transporter des engrais, des intrants, du matériel depuis la France, voir même depuis le littoral guyanais. Par exemple pour la régénération des sols il nous apparaît primordial d’apporter du compost aux plants plutôt que de l’engrais chimique. La solution de facilité aurait été de se fournir à la station de Matoury, ce que nous avons fait au début… Mais il nous a rapidement paru essentiel d’essayer de faire notre propre compost avec les produits organiques présents sur le site plutôt que de le faire venir du littoral, et ce, même si ça représente un challenge tout particulier pour le projet. Même chose pour le paillage
Dans le futur il nous apparaît beaucoup plus intéressant de travailler à l’amélioration de techniques de génie végétal spécifiques et adaptées au contexte de la Guyane, plutôt que d’utiliser l’hydroseeding qui nécessite l’apport de nombreux produits (paillage, graines, agents fixants, engrais…) qu’il faut faire venir d’Europe, voire d’encore plus loin dans le monde : les graines proviennent du Brésil ou du Pérou et transitent par la France avant de revenir en Guyane ! … A quand une filière de production de graines locales (voir le super projet de l’Agroforestière) ? Même chose pour les équipements de protection de l’érosion comme la paille de coco qui vient généralement d’Asie et que nous avons eu l’idée de remplacer par des sacs en toile de jute issue de l’économie circulaire : après quelques recherches, il s’est avéré qu’une entreprise de torréfaction de café en Guyane, les considérait comme des déchets et souhaitait se débarrasser d’un tas conséquent qui encombrait leur atelier. La quantité disponible à l’échelle de la Guyane n’est pas suffisante pour les grands projets, mais ça montre qu’en cherchant bien on peut commencer à inverser la logique du tout importé…