En 2017, nous avons pris la décision de créer une nouvelle pépinière à l’échelle du projet de revégétalisation de la mine de Saint Elie. Nous l’avons dimensionnée pour qu’elle puisse accueillir 50 000 plants. Elle est pourvue d’un arrosage automatique, de pots réutilisables et on y pratique toutes les techniques classiques : semi-repiquage, transplantation, bouturage… Nous avons porté une attention particulière à la création du substrat dans lequel sont élevés les jeunes plants.
On a coutume de dire en GUYANE qu’il faut habituer les plans dès le semi aux rudes conditions des sols très pauvres dans lesquels ils vont être plantés quelques mois plus tard. Après réflexion avec le pépiniériste et quelques recherches bibliographiques (notamment cet ouvrage qu’Adrien avait ramené de Nouvelle Calédonie) nous avons choisi au contraire de leur donner toutes les forces dont ils auront besoin pour pousser hors de la pépinière. Notre substrat est riche : pour ce faire, en plus du mélange sablo-argileux classique nous avons récupéré en forêt, délicatement (à la main), la partie superficielle du topsoil qui, en plus d’apporter de la matière organique, va amener les souches ultra locales de mycorhizes et de bactéries nécessaires au bon développement racinaires des plans.
Un des problèmes auxquels on a dû faire face est le manque de marché local de graines forestières, c’est quand même un comble en Guyane ! Au démarrage du projet il n’existait pas de banque de graines capable de nous fournir par milliers les semences des espèces même les plus courantes. Nous avons dû mettre en œuvre tout un système de sélection des meilleurs arbres, pas trop hauts pour faciliter la collecte, pas trop loin du campement pour des questions logistiques, si possible très productifs et si possible en grand nombre dans le même secteur…. Nous avons dû mettre aussi en place des protocoles de récolte pour être efficace et ne pas devoir ramasser les graines une à une… de séchage pour éviter le pourrissement, de conservation des graines à température ambiante ou à la clim ou au réfrigérateur… Puis trouver pour chaque espèce les conditions optimales de germination (un arrosage ou deux arrosages par jour, en plein soleil ou sous ombrière, les grosses graines et les noix qu’on ne traite pas de la même manière que les graines microscopiques…), et nous savons maintenant que chaque espèce a ses petits secrets qu’il faut percer à chaque étape.
Par exemple pour les bois canon on commence à savoir que les fruits sont mûrs et que leurs graines seront viables que si on les cueille à partir du moment où les oiseaux commencent à les manger. C’est un détail mais il a fallu beaucoup d’observations et d’échecs avant d’en arriver à cette conclusion. D’ailleurs certaines graines n’ont encore pas livré leurs secrets et on est toujours incapable de faire germer aparismium cordatum par exemple sans que l’on sache réellement pourquoi. Même chose pour le Croton, l’Itertia et certaines Rubiacées. D’ailleurs nous lançons un appel aux pépiniéristes ou aux personnes possédant un savoir traditionnel en Guyane, au Surinam ou au Brésil qui pourraient nous aider à faire germer ces espèces afin d’augmenter encore la biodiversitée de nos plantations.
Malheureusement ce sont des variétés qui ne sont ni ornementales, ni utilisées dans le bois d’œuvre, ni cultivées en Agroforesterie… Elles sont connues dans les herbiers mais personne ne sait comment les cultiver. Et ce n’est pas faute d’avoir fait un gros travail de bibliographie en Guyane (ou assez peu de données sont disponibles) et au Brésil où la littérature est beaucoup plus généreuse, y compris sur des espèces plus rares. L’EMBRAPA produit de nombreuses fiches techniques et publications sur les modes de culture de nombreuses espèces, mais la littérature est en portugais et ça demande un temps fou en recherches et en travail de synthèse pour donner au pépiniériste l’information précise dont il a besoin. De plus il s’est avéré que certains protocoles qui paraissaient bien établis au Brésil, fonctionnaient de manière un peu différente dans notre contexte. Par exemple, un taux de germination nettement plus important pour certaines espèces en Guyane, ou sur leur viabilité encore tout à fait correcte après un an de stockage, malgré ce qu’on peut lire dans certains textes publiés.
C’est vrai qu’Adrien, le pépiniériste, met une attention toute particulière dans ce qu’il fait, presque mystérieuse… c’est peut-être ça qu’on appelle avoir la main verte ?
D’un autre côté, moins fun, il a fallu apprendre à lutter contre les packs (Cuniculus paka), les rats et les souris qui viennent manger les graines juste après qu’on les a déposées dans les pots, pas sympas…en plus ils laissent leurs épluchures en plein milieu de la pépinière (les paks surtout…).
Puis les grages (Bothrops atrox, serpents mortels) qui viennent manger les souris au sein même de la pépinière et qu’on a dû aller relâcher à maintes reprises à 3 km de là.
Et les scolytes (insectes coléoptères de la famille des Curculionidae) qui nous ont ravagé des centaines de beaux plants d’Ingas Edulis, et pour lequel il existe aucun remède autre que la taille à ras (on coupe le plant juste au niveau du substrat, en espérant qu’il reparte du pied…), sans oublier de brûler (sans pleurer) la partie aérienne des plantes qui ont été sectionnées. Ce jour-là ce n’est pas la fête !
D’ailleurs nous en profitons pour remercier l’équipe de Solicaz avec qui nous avons pu échanger à de nombreuses reprises et qui nous a toujours apporté ses conseils et des solutions techniques intéressantes (sourcing des pots, traitement de l’affaire « scolytes », travail en pépinière…).